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Dr Moustafa Mould, ex-juif, États-Unis (partie 1 de 5)

1949 2014/10/09 2024/11/17

Une odyssée est un long parcours errant.  Le terme vient du grec Odusseùs (en latin Ulixes, puis, par déformation, Ulysse), un des héros les plus célèbres du poème épique d’Homère intitulé L’Odyssée.  Son retour au bercail dura dix années, qui furent parsemées d’incidents, de détours, de dangers et d’aventures.  Avec le recul, mon cheminement vers l’islam – mon propre retour au bercail – m’apparaît comme une odyssée.  Quand je repense à ma vie, de ma petite enfance jusqu’au moment de prononcer la shahadah[1] – un cheminement de presque quarante ans – je constate que plusieurs signes, plusieurs points tournants et incidents, certains significatifs et d’autres moins, furent mis sur ma route pour me préparer à ma future conversion à l’islam.


J’ai grandi à Boston.  À l’époque, c’était une ville très catholique, majoritairement irlandaise et italienne, avec de petites,  mais très présentes communautés afro-américaine, juive, chinoise, grecque, arménienne et arabe chrétienne.  Et, toujours à l’époque, chaque communauté avait son propre quartier.  Il y avait plusieurs restaurants grecs et syriens et j’appris à apprécier la salade grecque, les shish kebab, le lahm mechoui, les kibbe, les feuilles de vigne farcies, le houmous et l’agneau sous toutes ses formes.


Ma famille était surtout composée de juifs ouvriers et conservateurs.  Mes grands-parents avaient fui l’antisémitisme et les pogroms de la Russie tsariste vers 1903.  Avec leur famille, ils avaient trouvé du travail dans les ateliers textiles et certains s’adonnaient à des travaux artisanaux, mais tous étaient très actifs au sein des syndicats.  J’allais devenir le premier de ma famille à obtenir un diplôme universitaire.  À la maison, nous n’étions pas strictement kasher, mais jamais nous n’aurions même pensé à manger du porc.  Nous observions tous les jeûnes et toutes les fêtes religieuses et, des années durant, je fréquentai la synagogue chaque samedi et aux jours de fêtes, avec mon père et mon oncle.


La synagogue que nous fréquentions était conservatrice, quasi orthodoxe, mais tout de même moderniste; elle était très traditionnelle, mais les femmes n’y étaient pas totalement séparées des hommes.  Je commençai à fréquenter la « madrasah » (école hébraïque) à l’âge de six ans.  C’était en 1948, l’année de la création de l’État d’Israël.  Les gens ne parlaient plus que de la propagande sioniste et nous entendions régulièrement des conversations ou des sermons sur les nazis et les camps de concentration de la part de survivants nouvellement arrivés en Amérique.


À l’époque, l’antisémitisme était encore répandu aux États-Unis, surtout dans le Sud et dans le Midwest, mais également à Boston.  Les Grecs, les Syriens et les Italiens nous laissaient tranquilles, mais les Irlandais de Boston constituaient un réel problème, pour nous, depuis la génération de mes parents, dans les années 20.  Au cours de mon enfance, je fus souvent poursuivi, insulté, frappé et arrosé de crachats par les enfants irlandais.  On alla jusqu’à me contenir de force pour baisser mes pantalons; en plus de chercher à m’humilier, on voulait voir à quoi ressemblait une circoncision…


Mes professeurs d’hébreu étaient deux Israéliens orthodoxes, vétérans de la guerre de 1948.  J’appris d’eux l’hébreu moderne et l’enseignement religieux qu’ils me prodiguaient était profondément teinté d’idéologie sioniste.  Auprès d’eux, je devins plus religieux et résolument sioniste.  Je croyais que les juifs avaient besoin d’avoir leur propre pays au cas où un autre Hitler ferait son apparition.  (Les enfants irlandais qui me tourmentaient ne faisaient qu’alimenter mes peurs et contribuaient au fait que je ne me sentais pas chez moi en Amérique).  Je décidai qu’un jour, je passerais le reste de ma vie sur un kibboutz (ferme collective).


Mon père était un musicien et un chantre (i.e. celui qui mène les autres en prière).  Il avait une belle voix de ténor et il préférait les airs plus traditionnels et orientaux.  Il psalmodiait les prières avec beaucoup de huzn (lamentation dans la voix).  (Lorsque j’appris ce terme, récemment, je me demandai s’il n’était pas lié au mot hébreu hazan= « chantre ».)  Dans notre synagogue, le lecteur de Torah utilisait un tajwid à consonance très orientale et j’aimais beaucoup l’écouter.  Croyez-le ou non, j’entendis, récemment, un ami réciter du Coran et la mélodie était presque identique.


Aujourd’hui encore, quand je fais ma prière, je me souviens que dans les prières juives, il y avait de constantes références à la prosternation (soujoud).  En fait, il est de coutume, dans les synagogues plus orthodoxes et au cours du Yom Kippour (le jour de jeûne le plus important et l’équivalent de Ashourah), que le chantre se prosterne au nom de la congrégation, tout en continuant de psalmodier.   Cette action n’était pas particulièrement facile à accomplir, mais mon père, avec sa voix puissante, s’en sortait très bien.  Je me souviens avoir pensé, à l’époque, qu’il aurait été plus agréable que nous nous prosternions tous ensemble plutôt que de simplement nous incliner en guise de soujoud symbolique.


Vers l’âge de huit ou neuf ans, j’eus le bonheur de découvrir une station de radio qui diffusait les émissions de diverses communautés ethniques locales.  Je me mis à écouter les émissions en yiddish, en grec et en arménien et, plus particulièrement, l’émission en arabe.  Je tombai littéralement en amour avec la musique arabe et la mélodie de cette langue.  En m’appuyant sur l’hébreu que je connaissais, je m’efforçais de comprendre les nouvelles et de faire des liens  entre les sons hébreux et arabes.  Je remarquai les différences entre hamzah et ‘ayn, entre kh et h et entre k et q, des distinctions que l’hébreu moderne a perdues.  Cela m’aida à améliorer mon hébreu et je remportai des prix d’excellence à l’école hébraïque.  Je me souviens également avoir aidé des copains à tricher lors de tests d’épellation en leur chuchotant les lettres avec un accent « arabe ».


Une fois à l’école secondaire, je découvris la Grande bibliothèque de Boston et sa section de disques.  À part la musique classique, je découvris toutes sortes de musiques ethniques, mais j’étais surtout attiré par les musiques moyen-orientales et les chansons en arabe, en turc, en persan et en hindi (ou ourdou).  J’appris à reconnaître divers styles, instruments et rythmes régionaux.  J’aimais particulièrement le ‘oud et j’appris seul à jouer du dumbeg en accompagnant les disques que je faisais tourner.  Une fois, un groupe de juifs yéménites vint d’Israël visiter Boston pour présenter un spectacle de danses et de chants.  Je fus totalement fasciné par leur apparence, leurs costumes et leur musique.  Même qu’ils prononçaient l’hébreu comme moi au cours d’un test d’épellation…


Si je prends la peine de mentionner tous ces détails, c’est qu’il y a une indéniable composante culturelle à l’islam : la langue, les mélodies du adhan et du Coran, les interactions sociales et d’autres traits culturels qui paraissent très exotiques et étranges à l’Occidental moyen, incluant les juifs occidentalisés.  Et lorsque, des années plus tard, je fus mis en contact direct, dans divers contextes, avec ces traits culturels, ils m’étaient déjà familiers et c’est avec plaisir et nostalgie que je les retrouvai, ce qui me fit accepter l’islam encore plus aisément.  Mais nous reviendrons là-dessus plus loin.

 


Mon meilleur ami, à l’école secondaire, eut aussi beaucoup d’influence sur moi.  Il aimait la philosophie, la poésie et la littérature à caractère religieux.  Je n’étais pas un admirateur des deux premières, mais j’aimais les écrits à saveur religieuse, fussent-ils hindous, bouddhistes ou taoïstes et… j’aimais le Coran.  Je remarquai que les histoires qu’il renfermait étaient très similaires à celles de la Bible, mais j’étais agacé par ce que je percevais comme son côté anti-juif.  J’étais très impressionné, cependant, par sa description de Jésus en tant que prophète et non en tant que Seigneur.  J’acceptai aisément cette idée et elle devint ma réponse toute faite lorsque des camarades de classe catholiques me demandaient ce que je pensais de Jésus.  Et ils ne semblaient pas trop s’offusquer de ma réponse.



Note de bas de page:

[1] La shahadah est l’attestation de foi islamique, i.e. « J’atteste qu’il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah et que Mohammed est Son messager. »

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