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Le bonheur en islam (partie 1 de 3): Divers concepts du bonheur

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2370 2014/10/28 2024/11/15

Même si le bonheur demeure une des choses les plus importantes dans la vie des gens en général, la science n’a que peu à dire à son sujet.  Car le concept même du bonheur est difficile à saisir.  S’agit-il d’une idée, d’une émotion, d’une vertu, d’une philosophie, d’un idéal ou est-ce tout simplement programmé dans les gènes de certains individus?  Aucune définition du bonheur ne fait l’unanimité et pourtant, de nos jours, nombreux sont ceux qui cherchent à vendre du bonheur : les dealers de drogue, les compagnies pharmaceutiques, Hollywood, les compagnies de jouets, les gourous de toutes sortes et, bien sûr, Disney, créateur de l’endroit le plus joyeux sur terre!  Peut-on vraiment acheter le bonheur?  Le bonheur s’atteint-il en maximisant les plaisirs, en devenant célèbre et en faisant fortune, ou en menant une vie remplie de loisirs illimités?  Ces trois articles sur le bonheur survoleront brièvement l’évolution du bonheur dans la pensée occidentale, avant de se concentrer sur la compréhension culturelle du bonheur telle qu’on la trouve de nos jours en Occident.  Enfin, nous parlerons de la signification du bonheur en islam et de quelques moyens utiles pour l'atteindre.


L’évolution du bonheur dans la pensée occidentale

L’idée chrétienne du bonheur est basée sur une citation de Jésus :

 « Vous, de même, vous êtes maintenant dans la douleur, mais je vous verrai de nouveau: alors votre cœur sera rempli de joie, et cette joie, personne ne pourra vous l'enlever. » (Jean 16:22)


L’idée chrétienne du bonheur a évolué au fil des siècles, tout en reposant sur une théologie du péché, tel que l’a expliqué Saint-Augustin dans La Cité de Dieu, où il affirme qu’à cause du péché originel d’Adam et Ève, le véritable bonheur est « inatteignable dans cette vie ».[1]


En 1776, Thomas Jefferson, résumant un siècle de réflexion sur le sujet en Europe et en Amérique, a estimé que la « poursuite du bonheur » était une réalité qui « allait de soi ».  En effet, la poursuite du bonheur avait été si souvent discutée et affirmée que, pour la plupart des gens, nul n’était besoin de la questionner.  Assurer « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre » était devenu l’impératif moral du siècle.  Mais à quel point cette poursuite du bonheur allait-elle de soi?  Était-elle si évidente que le bonheur devenait notre raison de vivre innée?  Des chrétiens reconnurent que si la plupart des êtres humains cherchaient à atteindre le bonheur durant leur séjour sur terre, ils demeuraient sceptiques quant à son atteinte réelle.  Plus tard, Jefferson lui-même se montrait pessimiste quant à l’atteinte réelle de ce bonheur tant recherché.  Dans une lettre datée de 1763, il précise que « le bonheur parfait (…) n’a jamais été destiné, par Dieu, à être le lot d’une de Ses créatures », ajoutant, d’un ton grave, que « même les plus chanceux d’entre nous, durant leur séjour sur terre, sont régulièrement confrontés à toutes sortes de calamités et malheurs qui les affectent grandement. »[2]  « Raffermir notre esprit » face à ces épreuves, conclut-il, « devrait constituer les principaux souci et effort de nos vies. »

 


Tandis qu’au cinquième siècle, Boèce affirmait que « Dieu est le bonheur même »[3], au milieu du 19e siècle, la formule était inversée pour devenir « le bonheur est Dieu ».  À partir de cette époque, le bonheur est devenu l’idole des idoles, le point central de la vie moderne, la source de l’inspiration humaine, la raison d’être de l’existence, le pourquoi du comment.  Si le bonheur ne faisait pas partie, comme l’affirmait Freud, « du plan de la Création »[4], nombreux sont ceux qui étaient prêts à altérer l’œuvre du Créateur en le manufacturant et en l’exportant sous le nom de démocratie et d’économie de marché (matérialisme).  Comme le faisait remarquer le philosophe Pascal Bruckner, « le bonheur est le seul horizon de nos démocraties contemporaines ».  En tant que religion de substitution, le matérialisme a relocalisé Dieu dans les centres commerciaux.

Le bonheur dans la culture occidentale

Dans notre culture, il est commun de croire qu’une personne atteint le bonheur une fois qu’elle devient riche, puissante ou célèbre.  Les jeunes veulent devenir des stars, tandis que les plus vieux rêvent de remporter le gros lot à la loterie.  Nous croyons que le bonheur se trouve là où le stress, la tristesse et les irritations quotidiennes sont absents.  Pour certains, le bonheur se trouve dans les thérapies dissociatives.  L’historienne Eva Moskowitz nous donne une idée de l’obsession américaine pour les thérapies de toutes sortes : « De nos jours, cette obsession ne connaît aucune limite…  Il y a plus de 260 types différents de programmes en douze étapes dans ce pays. »[5]

Une des raisons pour lesquelles nous avons tant de mal à atteindre le bonheur est que nous n’avons aucune idée de ce que nous cherchons réellement et de ce qu’est véritablement le bonheur.  Par conséquent, nous faisons preuve de mauvais jugement et prenons de mauvaises décisions tout au long de notre vie.  Un conte islamique illustre bien cette  relation entre le jugement et le bonheur.


« Ô, grand sage Nasrouddine »,

demanda l’étudiant passionné,

« J’aimerais vous poser une question

très importante à laquelle nous souhaitons

 tous trouver réponse : Quel est le secret pour

 atteindre le bonheur? »

 

Nasrouddine réfléchit un moment et dit :

« Le secret du bonheur est un bon sens du jugement. »

 

« Ah bon », dit l’étudiant. 

« Et comment acquiert-on un bon

sens du jugement? »

 

« Par l’expérience », répondit Nasrouddine.

 

 « Bien sûr », répondit l’étudiant.

« Et comment acquiert-on de l’expérience? »

 

« En faisant preuve de mauvais jugement. »

 

Un exemple de bon jugement consiste à réaliser que le confort matériel en lui-même n’est pas garant du bonheur.  Étant parvenus à cette conclusion grâce à notre bon jugement, nous ne nous arrêtons pourtant pas là.  Nous continuons d’aspirer sans relâche à un bonheur qui semble hors de portée.  Nous faisons plus d’argent en pensant que cela nous rendra plus heureux et, ce faisant, nous négligeons notre famille, notre entourage et les choses essentielles de la vie. 


Les grands événements auxquels nous rêvons portent en eux beaucoup moins de bonheur que nous l’imaginons.  En plus de réaliser qu’ils nous apportent moins que prévu, en terme de bonheur, ils nous amènent à ne plus savoir ce que nous voulons, au juste, et à ne plus savoir ce qui nous rendrait heureux ni comment l’obtenir.  Nous faisons alors preuve de mauvais jugement.


Le bonheur durable ne se trouve pas dans la réussite matérielle.  Imaginez que quelqu’un puisse, d’un claquement de doigts, vous donner la célébrité, la fortune et du temps libre à revendre.  Seriez-vous plus heureux?  Vous seriez, certes, euphorique sur le coup.  Mais ça ne durerait pas.  Petit à petit, vous vous adapteriez à cette nouvelle situation et votre vie reprendrait son cours, avec ses hauts et ses bas et son cocktail d’émotions au quotidien.  Toutes les études ont démontré que, quelques mois plus tard, ceux qui ont remporté des gros lots à la loterie ne sont pas plus heureux que la moyenne des gens.  Et, pour retrouver l’euphorie des premiers moments, il faudrait que survienne, dans leur vie, un événement encore plus excitant.


En 1957, le revenu par tête, exprimé en dollars d’aujourd’hui, était de moins de 8000$.  De nos jours, il est de 16 000$.  Avec un revenu qui a doublé, nous avons accès au double du confort matériel que l’argent peut acheter, incluant deux fois plus de voitures par personne.  Nous avons également des fours à micro-ondes, des téléviseurs grand écran, des répondeurs téléphoniques et des vêtements dernier cri.


Sommes-nous plus heureux?  Non.  En 1957, 35% des Américains ont affirmé au National Opinion Research Center qu’ils étaient « très heureux ».  En 1991, seuls 31% affirmaient la même chose.[6]  Parallèlement, le taux de dépression a monté en flèche.


Le Prophète de Dieu a dit :

 « L’enrichissement ne s’acquiert pas par la possession d’une grande fortune.  Le véritable enrichissement est celui de l’âme. » (Sahih Boukhari)



Note de bas de page:

[1] City of God, (XIX.4-10). (https://www.humanities.mq.edu.au/Ockham/y6705.html).

[2] Notes for an Autobiography,  1821.

[3] De Consol. iii.

[4] Civilization and Its Discontents, (1930).

[5] In Therapy We Trust: America’s Obsession With Self-Fulfillment.

[6] Center for a New American Dream, 2000 Annual Report. (https://www.newdream.org/publications/2000annualreport.pdf)

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