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Troisième déterminant : La perfection/ l'excellence (al itqân)
Définition du terme: Ibn Manzour déclare :«on dit : "atqana chay", pour signifier qu'untel a accompli une chose à la perfection. "Al itqân " réfère à l'infinie précision avec laquelle on accomplit un travail ou on réalise une œuvre. Il est dit dans le Coran: [Telle est l'œuvre d’Allah qui a tout façonné à la perfection (…) ] (Sourate Les Fourmis, An-Naml, 27, Verset 88). On dit d’un homme qu’il est "taqin", pour signifier qu’il fait les choses à la perfection, avec dextérité ; un homme "taqin" c’est aussi celui qui est prompt, rationnel et explorateur».
Abou Mansour dit : « Anciennement "at-taqin " était utilisé dans l’expression "Ibn taqin", soit : " le fils habile " quand on voulait évoquer un individu reconnu pour l'excellence de ses réalisations. Puis " taqin " fut employé pour désigner toute personne faisant montre de dextérité dans ses actes. Ainsi emploie-ton le verbe "atqana" dans l'expression suivante: " atqana untel son travail " pour dire que la personne en question a accomplit sa tâche à la perfection ; dans le dictionnaire, "at-tiqin" désigne la nature et l’homme qui agit avec ingéniosité dans cette nature» [1].
On attribue à Al Ahnaf ces deux vers :
Peu importe qu'ignoble il soit
Si quand, chargé d' une tâche, il l'accomplit du mieux qui soit.
On pourrait également citer la parole de ،Alî bin abî Tâlib – qu'Allah lui accorde la miséricorde - relative à ce sujet : « Les hommes sont les produits de ce qu’ils maîtrisent », ainsi que celle-ci : « La valeur de chaque individu réside dans ce qu’il réalise à la perfection».
Le poète dit:
Sois le fils de qui tu veux et acquiers de belles manières
Les louanges qu'elle te vaudront compenseront la filiation de ton père [2].
Après qu'ils eurent conformé leur conduite aux belles manières prônées par le Coran, les Arabes changèrent de critères et de mesures. L'Arabe, pour lequel auparavant rien ne pouvait égaler la filiation et la renommée, considéra désormais que le bel agir, l’acquisition des belles manières et l'excellence dans l'action et le comportement constituaient la véritable valeur d’un individu.
La perfection, ou l'excellence, est donc l'extrême précision, qu'elle concerne les choses matérielles ou morales; elle est donc tout autant indispensable à la production des éléments matériels de la vie qu' à l'établissement des valeurs morales. Aucune civilisation ne s'érige, aucune industrie ne prospère, sans cette excellence. Les entreprises industrielles et les établissements académiques accordent à l'excellence un intérêt primordial. C’est pourquoi des normes internationales reconnues sont établies pour chaque production, qu’il s’agisse d’une production de la pensée – comme les programmes scolaires – ou d’une production matérielle – comme tous les autres produits. Ces normes sont devenues tellement indispensables que les fabricants et les producteurs industriels veillent scrupuleusement à ce que leurs produits les respectent et ils les inscrivent d'ailleurs sur les emballages de ces produits.
L’Islam, qui est l’Ultime Message Révélé, n’a pas omis d'évoquer cet aspect méthodique efficient. Les Textes Révélés confirment la nécessité de l'excellence et nous enseignent qu’Allah façonne à la perfection tout ce qu'il crée et qu’Il encourage les êtres humains à parfaire leurs actions en expliquant qu'Il aime cela de Ses serviteurs. Allah Le Très-Haut, Le Tout-Puissant dit en effet en parlant de Ses œuvres : [ Telle est l’œuvre d’Allah qui a tout façonné à la perfection] (Sourate Les Fourmis, An-Naml, 27, Verset 88). Ibn Al ،Abbâs a dit, expliquant le sens de ce Verset : « Allah a tout réalisé avec une infinie précision. » Al Mujâhid déclare quant à lui que cette Parole d’Allah [(…) qui a tout façonné à la perfection] signifie qu’Il a tout raffermi et ajusté. Une explication proche de celle-ci a été rapportée de Qatâdah – qu'Allah lui accorde la miséricorde – [3]. Ibn Kathîr – qu'Allah lui accorde la miséricorde – quant à lui précise : « Cela signifie qu’Il façonne à la perfection tout ce qu’Il crée, et que chacune de Ses créations reçoit la sagesse qu' Il veut bien placer en elle » [4].
Ibn Al Qayyim – qu'Allah lui accorde la miséricorde – a précisé, dans le cadre de sa démonstration de l'adéquation entre la Législation du Très-Haut et Sa création, que, de même qu' Il a créé Ses créatures avec une perfection et une précision extrêmes, Allah a conçu Sa Législation avec une convenance et une sagesse suprêmes. Ainsi Al Qayyim dit-il : « En vérité, Celui Qui a établi ces sanctions et les a liées à la nature de leurs causes et en proportion de celles-ci, est Le Connaisseur du monde invisible et du monde manifeste, Le plus juste des juges, Le plus éminent de tous les savants, Celui Qui a embrassé toute chose de Son savoir, Celui Qui est instruit de ce qui a eu lieu dans le passé, de ce qui a lieu dans le présent et même de ce qui n'a pas eu lieu, sachant comment ce qui n'a pas eu lieu aurait été s'il s'était finalement produit. C’est Celui Dont la science embrasse tous les aspects des choses profitables, qu’elles soient infimes ou grandioses, cachées ou apparentes, que les êtres humains puissent en avoir connaissance ou non. Ces spécifications et ces considérations ne sont pas sans sagesse ni objectifs louables, de même que les spécifications et les considérations relatives à Sa création. Dans le dernier cas, il est question de Sa création, alors que dans le premier cas, il s’agit de Son ordre. Création et ordre relèvent tous deux de la complétude de Sa science et de Sa sagesse et du fait qu'Il octroie à chaque chose qu’Il créée la place qui lui revient et qui ne sied qu'à elle et qu’elle seule mérite. C'est ainsi, par exemple, qu’Il a placé la faculté de la vision et la lumière du voyant dans l’œil, la faculté de l’ouïe dans l’oreille, la faculté de l’odorat dans le nez, la faculté de l'énonciation dans le mouvement de la langue et celui des lèvres, la faculté du toucher dans la main, la faculté de marcher dans les pieds. Il a en outre octroyé à chaque animal et autre création, ce qui lui sied spécifiquement et qu'il convient de lui attribuer, comme ses membres, sa stature, ses caractéristiques et sa puissance propre. Sa perfection et Sa précision enveloppent ainsi toutes Ses créatures, comme Il le dit Lui-même : [Telle est l’œuvre d’Allah Qui a tout façonné à la perfection] (Sourate Les Fourmis, An-Naml, 27, Verset 88). Si Le Tout-Puissant a façonné Sa création avec une perfection et une précision extrêmes, alors Son ordre est a fortiori plus précis et plus parfait. Celui qui ne connait pas toutes ces vérités dans leurs détails n’a pas qualité pour les nier en bloc» [5].
Le Prophète r a exhorté les musulmans à parfaire leurs œuvres. Dans un Hadith rapporté par ،Â'ichah – qu'Allah soit satisfait d'elle – le Messager d’Allah r déclare: « Allah Le Très-Haut apprécie que lorsque vous entrepreniez une tâche, vous l'accomplissiez à la perfection» [6]. Lors de l' éclipse de soleil qui eut lieu le jour du décès d'Ibrahim, fils unique du Prophète r, les gens clamèrent:«Cette éclipse est due à la mort d’Ibrahim!» Le Messager d’Allah r leur répondit alors: « Le soleil ne s’éclipse ni à l’occasion de la mort d’un être ni à l’occasion de sa naissance. » Puis le Messager d’Allah r repéra une trouée dans la tombe de son fils, entre les briques. Il ordonna alors de la colmater et dit : « Lorsqu’un être entreprend une tâche, Allah apprécie grandement qu’il l'accomplisse à la perfection»[7]. Cette trouée entre les briques dans la tombe ne peut ni nuire au mort ni lui être utile et pourtant le Prophète r ne voulut pas la laisser telle quelle sans la colmater. Il ordonna donc que cette tombe bénéficiât de son droit à la perfection. Lorsque les compagnons lui demandèrent si cette trouée pouvait être nuisible ou bénéfique au mort, il leur fournit la réponse susmentionnée.
Al Manâwî – qu'Allah lui accorde la miséricorde – a expliqué ce Hadith en ces termes:«Allah Le Très-Haut apprécie au plus haut point que lorsque l’un de vous autres, croyants, entreprend une tâche, il l'accomplisse avec excellence, c'est-à-dire avec une infinie précision, comme il est déclaré dans la version du Hadith rapportée par Al ،Askarî. Par exemple, il incombe à l’armurier auquel la fabrication des cors de chasse, des instruments et autres armes est confiée, de réaliser un travail excellent en parfaite conformité à ce qu’Allah a demandé. Il doit travailler avec l’intention d’être utile aux créatures d’Allah qui l’emploient à cette tâche, afin d’atteindre la perfection requise, et non par crainte que son métier ne s'éteigne, ni en fonction de la rétribution qu'il reçoit. Evoquons donc ce fabricant qui avait réalisé avec beaucoup de manquements un travail qu'il avait tout de même remis à son client. La nuit venue il ne put fermer l'œil à cause de la peur qu'il avait que son travail ne se révélât imparfait. Il commença de suite à réaliser un autre travail pour remplacer le premier et lui fit atteindre les sommets de la perfection de son art. Au matin, il se rendit chez son client pour lui remettre ce second travail et récupérer le premier. Son client l’ayant remercié, il répondit ceci à celui-ci : " Je n'ai pas refait ce travail dans le but de vous satisfaire mais plutôt dans celui de respecter le droit du métier et par crainte que mon travail ne se révélât imparfait". Lorsque l’artisan fait montre de manquement dans son métier parce que la rétribution qu'il reçoit pour celui-ci est insuffisante, il se rend coupable d’ingratitude envers ce dont Allah l'a instruit, et il se peut dès lors qu’il n’atteigne jamais plus la perfection [en guise de châtiment]» [8].
L'analyse de ce troisième déterminant, la perfection/al itqân, nous fait parvenir au terme de cette première partie consacrée aux valeurs du savoir, à ce qui résulte de celui-ci et à ce qui s'appuie sur lui. Dans la prochaine partie, notre étude s'orientera vers un autre pôle des valeurs civilisationnelles contenues dans le Message du meilleur des hommes, pôle considéré, dans son essence, complémentaire du premier même s'il contraste, dans ses détails, avec celui-ci.
[1] Lisân al ،Arab, 13/73, et Al qâmous al muhît, 1/1527.
[2] Fayd al qadîr, 4/110.
[3] Jâmi، al bayân, 20/21.
[4] Tafsîr al Qur’ân al ،Azîm, 3/379.
[5] 'I،lâm al muwaq،în, 2/120.
[6] Al mu،jam al 'awsât, 1/275 et Musnad, Abî Ya،lâ, 7/349, Chu،ab al 'îmân, 4/334; Majma، az-zawâ'id, 4/98, Kachf al khafâ' , 1/286. Al Albânî juge ce Hadith authentique dans As-silsilah as-sahîhah, 3/106.
[7] Al mu،jam al kabîr, 24/306.
[8] Fayd al qadîr, 2/286 -287.