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Troisième partie - Les valeurs de gestion
Si notre étude a, dans les deux parties précédentes, porté sur les aspects scientifique et social des valeurs civilisationnelles, elle aborde, dans cette troisième partie, un champ de valeurs indispensables à toute communauté, sans le respect desquelles aucun État ne peut s’établir et en dehors desquelles aucune civilisation ne peut voir le jour. Il s’agit des valeurs de gestion. L’Islam ne néglige point ces valeurs et, bien au contraire, leur accorde une extrême importance. Il en a d'ailleurs posé les fondements et les règles. Ces valeurs fondamentales recouvrent six déterminants qui sont les suivants :
Premier déterminant: Les dogmes, règles, loiset principes: leur consignation par écrit et leur globalité
L’Islam a notamment pour particularité celle d'englober toutes choses: le Créateur et la créature, la vie ici-bas et l’Au-delà, la religion et le bas monde, l'état de voyage et l'état de sédentarité, l’être humain, le cosmos, les végétaux et les animaux. Il recouvre également les règles de base, les fondements, les principes, les lois et les objectifs. De fait dans l'Islam le politicien, le juriste et tous ceux qui ont un besoin direct de règles et de lois ainsi que le commun des Musulmans dans l'accomplissement de ses tâches, n’ont pas besoin d'attendre l'avis d’un érudit pour traiter chaque problème auquel ils sont éventuellement confrontés. S'ils ont parfois recours aux oulémas, ce n'est que pour les questions particulièrement difficiles à résoudre. En tout cas ils ne risquent pas d'être surpris, à un moment ou l'autre, par un changement de loi dû au changement d'époque, comme il en est ainsi dans les systèmes politiques sécularisés. Ils connaissent les règles, les fondements et les principes de la Loi musulmane intangible. Tout ce dont a besoin le Musulman est traité par l'Islam. Allah Le Très-Haut dit : [(…) Nous n’avons absolument pas omis la moindre chose dans le Livre ] (Sourate Les Bestiaux, Al Ancâm, 6, Verset 38). [ C’est Nous Qui ressuscitons les morts, inscrivons ce qu’ils ont fait [pour l’Au-delà] ainsi que leurs traces. Et Nous avons recensé toute chose dans un Original explicite] (Sourate Yâ Sîn, 36, Verset 12). [Et Nous avons détaillé toute chose par le menu] (Sourate Le Voyage nocturne, Al Isrâ’, 17, Verset 12). Ibn Jarîr – qu' Allah lui accorde la miséricorde – explique ainsi ce Verset : « Allah a explicité toute chose de manière parfaite, à vous, êtres humains, afin que vous Lui manifestiez votre gratitude pour les bienfaits qu’Il vous a accordés et Lui vouiez foncièrement le culte en excluant toute divinité illusoire et toute idole illégitime de ce culte» [1].
Dans l'Islam le licite, tout comme l'illicite, sont clairement identifiables, les dogmes sont explicites, les législations sans équivoque, les règles morales exhaustives, les objectifs précis, les modèles éblouissants. Les associateurs, à l'époque de la Révélation, considéraient excessifs cette globalité et cet encadrement rigoureux parce qu'il n'étaient pas habitués à un contrôle de tous les aspects de l'existence ; ils marquèrent ainsi leur étonnement auprès des Compagnons du Prophète r: « Votre compagnon vous instruit donc de toute chose! » Salman rapporte ce qui suit:«Un homme parmi les associateurs s'exclama : " Je vois que votre compagnon vous enseigne tout. Vous enseigne t-il aussi la manière de faire vos besoins ? " Je répondis alors : " Bien sûr ! Il nous interdit de faire nos besoins face à la qiblah*, de nous nettoyer les orifices naturels à l’aide de la main droite, et d’utiliser à cet escient le crottin animal asséché et les os. Ainsi r a-t-il dit précisément : " Ne vous nettoyez pas avec moins de trois cailloux**"» [2] . Abou Dhar nous a informés du caractère global de l'Islam en ces termes : « Certes le Messager r nous a laissés [le jour où il est mort], mais chaque oiseau battant des ailes dans les airs nous rappelle une des connaissances qu'il nous a transmises» Il ajouta : « Le Messager d’Allah r a dit : "De ce qui rapproche du Paradis et éloigne de l'Enfer il ne reste rien qui ne vous ait pas été exposé clairement " »[3].
Le Prophète r a dit également : « Le licite est clairement identifiable et l' illicite également. Cependant il est entre ces deux catégories des choses équivoques dont peu de personnes sont capables de discerner la nature réelle. En conséquence, qui se garde de ces choses équivoques préserve sa religion et son honneur. Celui qui s'engage dans ces actions de nature incertaine s'engage en fait dans l’illicite, comme le berger qui fait paître son troupeau aux abords d’un enclos réservé sur lequel il est prêt d'empiéter. Or tout souverain possède un enclos réservé ; l’enclos réservé d’Allah est constitué de Ses prohibitions. Or dans le corps de l’homme, il est un morceau de chair ; si ce morceau est sain, le corps en son entier l'est aussi ; mais s’il est altéré, alors tout le corps l'est de même ! Et bien ce morceau de chair n'est autre que le cœur ! »[4].
Allah Le Très-Haut expose clairement, dans les Versets suivants, les choses qu’Il a formellement interdites à Ses serviteurs : [Dis :“Venez ! Que je vous énonce ce que votre Seigneur vous enjoint : ne Lui associez rien ; comportez-vous bellement envers vos père et mère; ne tuez pas vos enfants sous prétexte d'indigence : c'est Nous qui vous pourvoyons, eux et vous; n’approchez pas des turpitudes, patentes et clandestines ; ne supprimez pas la vie qu’Allah a faite sacrée, si ce n'est à bon droit. Voilà ce qu’ Allah vous recommande, escomptant que vous raisonniez. Et ne vous approchez des biens de l’orphelin que de la plus belle manière, jusqu’à ce qu’il ait atteint sa majorité; donnez la juste mesure et le bon poids, en toute équité. Nous ne chargeons une âme qu'en fonction de sa capacité. Quand vous parlez, soyez équitables, s'agisse-t-il d’un proche parent. Et remplissez votre engagement envers Allah. Voilà ce qu’Il vous ordonne, escomptant que vous vous souveniez. "Telle est, dans sa rectitude, Ma voie, suivez-la donc ; ne suivez pas les chemins qui vous en fourvoieraient." Voilà ce qu’Il vous enjoint, escomptant que vous atteigniez la piété] (Sourate Les Bestiaux, Al An، âm, 6, Versets 151-154). Par ailleurs, Allah Le Très-Haut a exposé dans la Sourate Al Isrâ' les fondements des règles et des législations qu’ont apportées les Prophètes : [ Ton Seigneur a décrété que vous L'adoriez Lui seul, et que vous agissiez bellement à l'égard des père et mère. Si chez toi ils atteignent au grand-âge, l'un d'eux ou bien tous les deux, ne va pas leur dire : Fi !, ni les rudoyer; dis-leur des paroles bienveillantes; abaisse devant eux l'aile de la déférence, en esprit de miséricorde et dis : Seigneur ! Sois Miséricordieux envers eux comme ils ont été miséricordieux envers moi en élevant l' enfant que j'étais! […] Tous ces principes s'inscrivent dans ce que ton Seigneur t'a Révélé de la sagesse. N’installe donc pas à côté d' Allah d’autres divinités [illégitimes], tu serais précipité dans la Géhenne, livré à l'opprobre et la déréliction ] (Sourate Le Voyage nocturne, Al Isrâ’, 17, Versets 23-39). Le lecteur voit bien apparaître les législations et la globalité de l'Islam dans ce modèle de conduite ; en effet, les règles, les principes et les lois qu'exige la Constitution de l'Etat sont, dans cette religion, complets et disponibles. C'est pourquoi l’État islamique n’a jamais été confronté, depuis sa création, à la difficulté de trouver un consensus sur les prohibitions, les interdits, les droits et les devoirs, ni à celle de rédiger le contenu de sa Constitution. Il possédait de toute manière une Constitution pionnière, équitable, intégrale, qui n'eut à subir ni les épreuves auxquelles beaucoup d'autres Constitutions sont soumises, ni le suivisme et le conformisme qui accompagnent la rédaction de celles-ci, ni, comme elles, ajouts ou suppressions à son contenu, ni l'expérimentation à laquelle certains des articles de ces Constitutions séculières sont soumis pendant une période donnée afin d’apprécier dans quelle mesure ils réalisent les objectifs pour lesquels ils ont été apposés. C’est d'ailleurs en raison de cette expérimentation que les Constitutions des États séculiers sont constamment soumises à des amendements et des ajouts.
De même il n'est pas possible que, dans l'Etat islamique, les érudits du fiqh (jurisprudence) et de la magistrature examinent la possibilité de rendre licite la fornication ou l’intérêt usuraire ou l’homosexualité ou encore la consommation d'alcool, parce que ces pratiques comptent au nombre des interdits formels sur l'illicéité desquels il n'est pas question de débattre dans l’Islam. Or on observe que les Etats qui autorisent ces pratiques pâtissent de leur hésitation à les rendre licites et à établir des lois qui atténuent le caractère de gravité de leurs conséquences. Quelle épreuve, pour ces États, de devoir traiter les conséquences qui découlent de la licéité de ces pratiques immondes ! comme il est éprouvant de devoir traiter par exemple les malades du sida, de prévenir cette pandémie, de sensibiliser sur son danger, ou encore de chercher une solution pour interdire aux personnes en état d'ébriété de conduire… etc.
Que le lecteur n'aille pas penser que l'Islam, dès lors que sa Révélation remonte à plus de quatorze siècles, serait un système figé, imperméable aux mutations et inconciliable avec la modernité! Cette religion possède bien au contraire flexibilité et disposition à intégrer des ajouts et à assimiler les nouveautés pour autant toutefois que ces derniers n'aillent point à l'encontre de ses fondements, de ses principes, de ses lois et de ses règles. Cette flexibilité et cette disposition sont ce que les livres de Usul al fiqh désignent par l’ijtihâd*[5], les questions qu'il soulève, ses normes et ses limites. Louange à Allah Qui a parfait Sa Grâce et agréé à notre intention l’Islam comme religion.
[1] Jâmi، al bayân, 15/49.
* La qiblah est l'orientation de La Mecque (NdT).
** soit après l'accomplissement des besoins naturels et en l'absence d'eau uniquement (NdT).
[2] Sahîh Muslim, Hadith 1, 262, 1/224.
[3] Al mu،jam al kabîr, 2/155 ; ce Hadith est jugé authentique par Al Albânî dans As-silsilah as-sahîhah 4/416.
[4] Sahîh Al Bukhârî, Hadith 52, 1/28, et Sahîh Muslim, Hadith 1599, 3/1219.
[5] ijtihâd:ce substantif fait référence à l'effort de réflexion personnelle qu'entreprend un juriste musulman pour résoudre une question, un problème posés dont ne traitent pas le Coran et la Sunna. C'est cependant à partir de ces deux Textes que l 'expert de l'ijtihâd, soit al mojtahid, doit trouver une solution originale, déduire un jugement applicable au problème qui se pose ( NdT).